NB: Ceci est une entrée de blog rédigée par Kieran Holmes, Commissaire Général de l’Office Burundais des Recettes (OBR), agence fiscale semi-autonome du Burundi. Dans un rapport qu’il a co-écrit, récemment publié par Africa Research Institute, il présente les efforts consentis par l’OBR pour réformer l’administration fiscale et la collecte de l’impôt dans un des pays les plus pauvres d’Afrique. (Disponible ici en français et en anglais).
Dans le but d’assurer leur développement à long-terme, les gouvernements africains doivent être capables de mobiliser des revenus fiscaux. L’accès à des sources intérieures est crucial pour financer des services sociaux destinés à réduire la pauvreté et la dépendance de l’aide extérieure. D’innombrables études démontrent qu’un système d’impôts performant aide à renforcer les capacités de l’Etat et la bonne gouvernance.
Depuis quatre ans, je suis Commissaire Général de l’Office Burundais des Recettes (OBR), l’autorité fiscale burundaise. Au cours de cette période, les impôts perçus par l’OBR ont augmenté de 86%. L’un de nos objectifs initiaux était d’accroitre la part des impôts dans le PIB d’un point de pourcentage avant 2016, et il fut atteint dès 2011. Aujourd’hui, cet argent finance des services publics tangibles. Le niveau de corruption au sein de l’administration fiscale a diminué considérablement. Il s’agit d’exploits remarquables pour une institution opérant dans un petit pays post-conflit, où quatre cinquièmes de la population subsiste en deçà du seuil de pauvreté d’un dollar par jour.
L’OBR est un vrai « success-story » pour le secteur de développement. Pour chaque dollar investi par Trade Mark East Africa (TMEA) – l’organisation par laquelle la majorité de l’aide internationale transite – 8,30 dollars de recettes supplémentaires sont perçues par l’OBR. A ce jour, quelque 14 millions livres sterling ont étés alloués à l’OBR en aide internationale. Cela constitue, j’ai en ai la certitude, un excellent retour sur investissement.
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Hélas, tout ce travail vital pourrait bientôt être défait. Les bailleurs de fonds n’ont toujours pas convenu d’une deuxième phase d’appui, en dépit du plan stratégique de l’OBR. Cet état de fait menace de saper les résultats atteints au cours de la première phase.
Depuis trois années, le Burundi figure parmi les dix meilleurs réformateurs du Doing Business Index de la Banque Mondiale, et est souvent le seul pays d’Afrique au sein de ce groupe de tête. Il est désormais possible de monter son entreprise au Burundi en moins d’une heure. De nouvelles lois sur l’impôt sur le revenu, la TVA et les procédures fiscales ont été promulguées en 2013, ce qui a permis une harmonisation considérable par rapport au reste de l’Afrique de l’Est. Le taux d’imposition le plus élevé au Burundi est au niveau très compétitif de 30 pourcent.
Des postes frontières à arrêt unique (PFAU) ont été introduits aux frontières avec les pays-voisins de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), Rwanda et Tanzanie. Nous avons introduit un nouveau système informatique, ainsi qu’un plan permettant aux contribuables en règle de dédouaner rapidement leurs marchandises. Ces mesures permettent au Burundi de tirer le meilleur parti des opportunités commerciales au sein de la CAE. Les durées de dédouanement ont été réduites. Très bientôt, les transporteurs n’auront plus besoin de descendre de leur véhicule pour remplir les formalités de dédouanement aux frontières.
La contribution de l’OBR aux dépenses publiques financées par l’Etat a augmenté de 63% en 2009 à 78% en 2013. Certes, le Burundi a toujours besoin d’aide extérieure, mais il s’agit d’un pas en avant considérable pour un des pays les plus pauvres au monde.
Comment a-t-on réussi à accroitre les revenus, et quelles sont les leçons à tirer pour d’autres pays ?
L’OBR a quasi-intégralement renouvelé son personnel par 425 nouveaux employés, alors formés par des professionnels des administrations fiscales voisines ou des experts extérieurs. Nous avons mis en place de nouvelles conditions de travail, ainsi qu’un Code de conduite strict. De plus, l’OBR a adopté une grille salariale reflétant la qualité du travail attendu de la part des employés. Nous avons introduit des procédures modernes, tant pour les impôts que pour les douanes. Tout le monde a été amené à travailler en « open space », dans le but de favoriser la transparence. Ces processus ont été documentés en détail par Africa Research Institute.
le programme d’aide internationale dont dépend l’OBR touchera à sa fin en mai 2014
La première phase d’appui, qui a transité par TMEA, était de 17 millions de dollars. Une telle somme devait couvrir le poste du premier Commissaire Général, de nouveaux systèmes d’information, un important renforcement des capacités, la rénovation des bureaux et un volet d’assistance technique. Ce dernier a pris la forme d’expertise technique en impôts, douanes, ressources humaines, audit, technologie de l’information, achats et communication. Cet appui technique s’est monté à un coût approximatif de 10 millions de dollars. Néanmoins, en la rapportant aux recettes supplémentaires générées entre 2010 et 2013, l’assistance technique ne s’élève qu’à 2,17%.
Les coûts de fonctionnement de l’OBR sont principalement financés par l’Etat, ce qui inclut le salaire des employés, les loyers, les fournitures et des frais de déplacement. Ces coûts n’ont jamais dépassé 3% des recettes annuelles perçues par l’OBR. En 2013, du fait de coupes budgétaires ce chiffre est tombé à 2,3%. A moins que les financements supplémentaires promis ne se matérialisent, ce budget continuera à diminuer en 2014.
Malheureusement, en 2014, l’OBR fait face à une conjoncture particulièrement délétère. En plus d’un budget intérieur drastiquement diminué, le programme d’aide internationale dont dépend l’OBR touchera à sa fin en mai 2014. Les contrats de tous les assistants techniques prendront fin d’ici là, et ne seront pas renouvelés pour des raisons procédurales. Même si de nouveaux conseillers étaient recrutés, il est probable qu’une importante discontinuité ait lieu très bientôt.
Dans d’autres pays, les refontes fiscales ont pris jusqu’à 12 ans, voire plus. Pour que l’OBR puisse se développer durablement, une certaine stabilité financière est requise afin qu’il soit en mesure de prendre ses propres décisions stratégiques, comme cela est prévu dans le Plan d’Affaires 2013-2017. Ces objectifs ont été définis sur le terrain, en coordination avec le Conseil d’Administration de l’OBR et le gouvernement du Burundi, et ont reçu l’assentiment de la communauté internationale.
La flamme de la réforme fiscale au Burundi risque de s’éteindre, à moins que de nouveaux financements se fassent jour. Ceux-ci devront être assez importants pour conduire l’OBR et le Burundi à la prochaine étape de leur développement. Néanmoins, je crains le pire. Et si mes craintes deviennent réalité, la communauté internationale des bailleurs de fonds aura raté la solution la plus prometteuse de réduire durablement la pauvreté au Burundi.
M Kieran Holmes est le premier Commissionnaire général de l’OBR. Il peut être contacté par mail – kieran@kieranholmes.com – ou vous pouvez le suivre sur Twitter @kieran_holmes
Pour aller plus loin:
Impôts en Afrique: entretien avec Kieran Holmes
Pour l’Etat et le citoyen: la réforme de l’administration fiscale au Burundi